15. avril 2025

Petite Messe Solennelle

Comme chaque année pendant la Semaine Sainte, je présente ici un oratorio de la Passion ou une œuvre appropriée, généralement du domaine de la musique classique.

Cette fois, il ne s’agit pas d’une Passion, mais d’une messe, la „Petite Messe Solennelle“ de Gioachino Rossini (1792-1868), une composition que j’aime profondément et passionnément depuis très longtemps.

Rossini, principalement connu pour ses opéras comme „Le Barbier de Séville“, a composé cette œuvre en 1863 comme commande pour l’inauguration d’une chapelle privée d’un noble parisien – à un moment où il avait déjà mis fin à sa carrière active de compositeur depuis des décennies.

L’instrumentation est inhabituellement réduite : deux pianos et un harmonium forment la base instrumentale, complétés par un chœur et des solistes. Cette instrumentation économe confère à l’œuvre un charme tout particulier. Stylistiquement, la composition est plus proche de l’œuvre théâtrale et opératique de Rossini que de la stricte tradition de musique sacrée d’un Bach ou d’un Schütz. Néanmoins, Rossini réussit à créer une combinaison convaincante de contenu sacré et de conception musicale, produisant ainsi un joyau particulier de la musique sacrée. Peu avant sa mort, Rossini écrivit une version orchestrale, craignant que quelqu’un d’autre ne le fasse : „(…) voici que M. Sax viendrait avec ses saxophones ou M. Berlioz avec d’autres géants de l’orchestre moderne, voulant instrumenter ma messe et tuant mes quelques voix, me tuant aussi par la même occasion. (…)“ (Source avec texte détaillé en allemand)


Ma version préférée est l’enregistrement du RIAS Kammerchor sous la direction de Marcus Creed (2001, Harmonia Mundi). Cette interprétation séduit par sa vivacité, son son clair et sec, et son excellente distribution de solistes. Les tempos plutôt vifs et le son doux et léger du chœur et des solistes font de cette „petite messe solennelle“ une expérience d’écoute captivante, souvent rythmiquement swing, qui procure certainement beaucoup de plaisir même à un public moins familier avec la musique classique.


11. avril 2025

Bienvenue au cirque

Depuis toujours, le cirque et la fête foraine possèdent un pouvoir d’attraction magique sur les gens. Dès que l’on rentre dans l’un de ces mondes multicolores, on est plongé dans une réalité totalement différente pendant un certain temps - on s’émerveille, on rit et on oublie le quotidien. Une partie de cet enchantement a toujours est la musique, qui résonne généralement très haut au-dessus de des spectateurs sous le toit du chapiteau ou depuis l’orgue de la fête foraine et qui enchante immédiatement.

C’est précisément à cette atmosphère que se consacre le contrebassiste Claude Tchamitchian dans son nouvel album « Vortice » (tourbillon en italien). Avec trois autres représentants remarquables de la scène jazz française, il crée des images sonores qui se déploient comme un programme de cirque poétique. Des compositions qui se déplacent avec légèreté comme des chevaux ornés de plumes, des thèmes qui tourbillonnent, cherchent l’équilibre tout en maintenant une tension fragile. Plus on tend l’oreille, plus la richesse des détails se révèle dans chaque morceau.

Le pianiste Bruno Angelini déclenche un galop de clavier endiablé, abstrait, mais toujours suivi par des mélodies qui apparaissent. Claude Tchamitchian lui-même se tient en équilibre sur ses cordes de basse avec l’archet et des doigts, tel un artiste sur une ligne de haute voltige. Les notes de clarinette de Catherine Delaunay dansent de manière ludique et acrobatique à travers l’air, tandis que le saxophone de Christophe Monniot jongle ses notes tantôt avec douceur, tantôt de manière audacieuse à travers le manège.

De nouvelles sensations apparaissent sans cesse, ils se dirigent vers des sommets - de petites pièces d’art sonore aux rebondissements surprenants qui font briller les oreilles.

Conseil de lecture :
Parmi mes textes préférés figure le petit récit « Le Cirque » de l’auteur suisse C.-F. Ramuz, qui traduit cette magie du monde du cirque non pas en sons, mais en mots très poétiques.


26. mars 2025

Tourbillon filigrane

Souvent, l’instrument que l’on joue et que l’on a appris soi-même nous est particulièrement proche et se place automatiquement au premier plan lorsque l’on écoute de la musique. J’essaie de rester ouvert à cet égard, mais le piano (que j’ai appris pendant neuf ans) m’attire toujours particulièrement - malgré un certain amour pour la contrebasse.

Nitai Hershkovits est l’un des pianistes dont le jeu pétillant m’enthousiasme régulièrement - comme sur l’album « Tide & Time » (RAW Tapes/enja) avec le batteur Amir Bresler. Les morceaux ont été réalisés spontanément lors d’une session de studio au cours de laquelle Bresler, Hershkovits et le producteur Rejoicer se sont rencontrés pour jouer librement. Inspirés par la dynamique du moment, ils ont décidé de sortir la musique sous forme d’album. Au fur et à mesure de l’enregistrement, ils ont fait appel aux bassistes Avri Borochov et - pour le dernier morceau - Gilad Abro.

Avec une légèreté impressionnante, les musiciens dérivent (to tide) à travers les morceaux - comme s’ils dansaient la valse ensemble. Un album qui est extraordinairement magique à écouter et qui rend très, très heureux.

Amir Bresler : batterie
Nitai Hershkovits : piano
Gilad Abro: contrebasse (Track 1-6)
Barak Mori: contrebasse (Track 7)
Rejoicer: enregistrement et mixage


23. mars 2025

Silly Walk*

Le dialogue musical entre la pianiste Sylvie Courvoisier et la guitariste Mary Halvorson est sans aucun doute l’un des plus passionnants que la scène musicale contemporaine ait à offrir. Leur interaction toujours surprenante témoigne d’une profonde compréhension entre les deux artistes et d’un répertoire d’idées quasiment inépuisable.

Courvoisier, qui évolue avec virtuosité entre la tradition classique et le plaisir de l’expérimentation avant-gardiste, rencontre ici à nouveau une partenaire en crime qui, avec un humour ludique et un caractère sonore inimitable, allume l’un après l’autre des cierges magiques sifflants sur sa guitare. Et ce n’est pas du tout une exagération. Il suffit d’avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour s’y plonger.

* « Silly Walk » est un morceau sur l’album „Bone Bells“ paru chez Intakt.


21. mars 2025

Kurt Weill : la pierre angulaire

Kurt Weill aurait eu 125 ans le 2 mars. Il compte parmi les figures les plus marquantes de ma biographie d’auditeur, car son œuvre a exercé une influence directe et indirecte sur enormement de musiciens que j’apprécie. Il a été l’un des premiers à faire tomber les barrières entre la musique classique et la musique populaire, tout en reflétant les bouleversements sociaux et politiques de son époque. Dans les jours à venir, j’aimerais aborder cette influence sous différentes perspectives.

Deux albums qui traduisent l’œuvre de Kurt Weill dans le contexte du rock et de la musique indépendante. Ils démontrent de manière impressionnante la qualité des compositions de Weill, qui peuvent être transposées dans les genres et les arrangements les plus divers sans perdre de leur force expressive:

The Young Gods – « Play Kurt Weill » (1991)
Le groupe de rock industriel suisse « The Young Gods » interprète Weill avec une intensité surprenante. Conçue à l’origine comme une commande pour le festival Les Arts Scéniques de Mulhouse, la performance live a tellement enthousiasmé que le groupe l’a enregistrée en tant qu’album. Leur interprétation curieusement excitante associe la théâtralité de Weill à des sons durs et industriels et confère aux morceaux une dimension presque apocalyptique. Pour moi, c’est effectivement l’un des enregistrements les plus impressionnants d’œuvres de Kurt Weill.

Slut – « Songs aus Die Dreigroschenoper » (2006)
Cet album est également issu d’une production théâtrale - en son cas au théâtre d’Ingolstadt - et transpose la musique de Weill dans une esthétique rock moderne et alternative. Le groupe de rock indépendant allemand « Slut » met l’accent sur une atmosphère dense et mélancolique avec des guitares distordues et des rythmes entraînants, ce qui confère à la matière une urgence intemporelle. Une deuxième version préférée …

Lotte Lenya, épouse et muse de Kurt Weill, était l’interprète centrale de son œuvre. Il a littéralement écrit nombre de ses compositions pour voix de femme - de la pirate Jenny à l’Anna des Sept péchés capitaux - sur mesure ou dans sa gorge. Elle renonçait aux sonorités classiques et misait plutôt sur l’émotion brute.

Avec ce style de chant naturel mais expressif, elle donnait à chaque personnage une authenticité inimitable. Son influence sur les générations suivantes de chanteuses est grande, car les chansons de Weill - pour la plupart avec des textes de Bertolt Brecht - sont encore aujourd’hui plus souvent interprétées par des femmes que par des hommes.

Marianne Faithfull, récemment décédée, possédait une voix marquante et rauque, marquée par une vie mouvementée, qui donnait à ses interprétations une note très sombre. Sa force d’expression s’accordait parfaitement à l’atmosphère ironique et souvent critique des chansons de Brecht-Weill. Des morceaux comme « Surabaya Johnny » ou « Pirate Jenny » ont acquis une profondeur particulière grâce à sa voix.

À écouter :
« 20th Century Blues »
(1996, Reverso) et
« Weill : The Seven Deadly Sins » (2004, BGM)

Dagmar Krause aborde le répertoire de Weill de manière plus théâtrale et avec des accents plus prononcés. Ses racines musicales se trouvent dans la scène expérimentale et progressive de Canterbury, avec des groupes comme „Slapp Happy“ et „Henry Cow“, dont elle a fait partie.

Cette approche provocante et souvent radicale, elle l’apporte également dans ses interprétations de Brecht-Weill - aussi bien dans des versions allemandes qu’anglaises. Ses versions sont souvent impressionantes, engagées et accompagné par des instruments assez variés.

À écouter :
« Supply & Demand - Songs By Brecht/Weill & Eisler », (1986, Hannibal)

Salomé Kammer est une autre interprète exceptionnelle de Weill. Elle dispose d’une énorme flexibilité vocale. Grâce à sa formation de chanteuse classique, elle possède une palette extraordinaire qui va de la clarté d’un opéra à l’acuité d’un cabaret. Associée à sa présence théâtrale, cela fait de ses représentations une expérience très divertissante et fascinante.

À écouter :
« I’m a Stranger Here Myself » (2013, Capriccio)

„Du meinst, ich ließe das Hässliche an mir abgleiten. Nein: Ich schlürfe es bis zur Neige, denn es gehört zum Ausdruck der Zeit, in die ich geboren bin, und es weist mir den Weg zur Schönheit, die heute genauso blüht wie je. Aber ich packe zu, wo mir eine Empfindung begegnet – sei sie schön oder hässlich – und ich leere den Kelch jedes Gefühls bis zum Rand...“

Une citation tirée d’une lettre de Kurt Weill à Lotte Lenya (source), qui correspond aussi à l’essence de ses compositions créées principalement en Europe. Loin du pathos des opéras un peu artificiels, place aux réalités sans fard - souvent avec une critique sociale ou politique, mais toujours avec l’ambition artistique d’émouvoir le public. Avec son mélange de culture classique de haut niveau, de jazz, de cabaret et de musique populaire, Weill touche encore aujourd’hui un large public.

De la même manière que Weill a été influencé par ses maîtres - comme Gustav Mahler et Igor Stravinsky -, il a lui-même marqué les générations suivantes de musiciens de genres très différents. On trouve des parallèles avec son œuvre chez Lou Reed (« Berlin »), Tom Waits (« The Black Rider » en collaboration avec le réalisateur Robert Wilson), les Dresden Dolls ou David Bowie. De nombreux musiciens ont intégré des chansons de Weill/Brecht à leur répertoire au cours de leur carrière. On en trouve des interprétations particulièrement impressionnantes sur l’album „Lost in the Stars“, sorti en 1985, qui occupe depuis longtemps une place de choix dans ma collection musicale. J’ai rassemblé quelques morceaux de cet album - ainsi que quelques autres chansons - dans la playlist suivante :

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Les compositions de Weill sont souvent jouées dans un contexte classique. Au début de sa carrière, il a écrit plusieurs œuvres classiques, dont sa « Symphonie n° 1 » (1921) et sa « Symphonie n° 2 » (1933). Après son arrivée aux États-Unis, il s’adapta davantage à la comédie musicale américaine, sans toutefois abandonner les thèmes de critique sociale qui caractérisaient déjà ses œuvres de la République de Weimar. Pour Broadway, il a écrit des œuvres comme « Lady in the Dark » (1941) et « Street Scene » (1947). Il a également été engagé occasionnellement pour des musiques de film, mais il est resté en priorité fidèle au théâtre musical.

C’est un sujet que je ne connais malheureusement pas très bien. Pour illustrer mon propos, j’ai choisi deux enregistrements vidéo de la chef d’orchestre et chanteuse Barbara Hannigan. Elle y dirige et chante simultanément avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France les œuvres « Lost in the Stars » et « Youkali » – une performance d’une impressionnante légèreté que je trouve très belle.

« Lost in the Stars » est tiré de la comédie musicale éponyme de Weill à Broadway en 1949, basée sur le roman d’Alan Paton “Cry, the Beloved Country” - une histoire sur les tensions sociales et les injustices en Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. « Youkali », en revanche, est une cabanera de tango que Weill a composée pour l’œuvre scénique “Marie Galante”, encore créée en France en 1934.

Et puis il y a le jazz - ce monde dans lequel de nombreuses chansons de Kurt Weill ont trouvé un nouveau domicile. « Mack the Knife », “September Song” ou “Speak Low” sont devenus depuis longtemps ce que l’on appelle des standards - des morceaux que tout musicien de jazz devrait avoir dans son répertoire.

Depuis les contemporains de Weill jusqu’à aujourd’hui, de nombreux interprètes de ce vaste genre se sont emparés de ses compositions, parfois avec des titres isolés, parfois avec des albums entiers - parmi lesquels des grands comme Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan et Frank Sinatra.

Deux éminents musiciens de jazz ont très clairement suivi l’« école Weill » : la légende néerlandaise du big band Willem Breuker, qui a également interprété directement la musique de Weill - par exemple dans sa mise en musique de « Marie Galante » (1989), entre autres -, et la compositrice Carla Bley. C’est surtout dans ses œuvres de grand format, comme « Escalator over the Hill » (1971), qu’elle partage indéniablement la prédilection de Weill pour les structures narratives et les harmonies audacieuses - pas étonnant qu’elle le compte parmi ses principales influences. D’autres noms dans cette série seraient certainement le pianiste et chef d’orchestre britannique Mike Westbrook (p.e. avec „The Cortège, 1982) ou l’enfant terrible de l’avant-garde new-yorkaise John Zorn …


Là aussi, il existe une playlist chronologique pleine de versions de musiciens de jazz que j’apprécie personnellement beaucoup :

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Et ceux qui, en 1996, ont habillé » L’Opéra de quat’sous » (Decca) de jazz le plus raffiné avec piano, contrebasse et batterie et ont ainsi fait vibrer et scintiller ces mélodies avec brio, ce sont ces trois messieurs :


24. février 2025

Invocation de serpent

J’ai une certaine attirance pour les instruments à sonorité grave - outre la contrebasse, le serpent en fait partie. Cet instrument à vent exceptionnel a été développé en France à la fin du 16e siècle, à l’origine pour accompagner le chant religieux. Plus tard, il a également été utilisé dans les orchestres militaires. Le serpent doit son nom à sa forme incurvée et serpentine, qui rappelle celle d’un serpent. Il est fabriqué en bois dur, recouvert de cuir, et dispose de six à huit trous de préhension. Le serpent se joue avec une embouchure de caisse, similaire à celle d’un tuba ou d’un euphonium. Les sons sont produits par une combinaison de trous de préhension et de tension des lèvres, et des techniques d’approche et de sursoufflage habiles permettent de produire également des tons intermédiaires (demi-tons). C’est ainsi que naît sa sonorité caractéristique - profonde et sombre, avec un timbre doux et bourdonnant.

Celui qui sait assez bien évoquer ce serpent est le joueur de tuba français Michel Godard, qui est à l’aise aussi bien dans la musique ancienne que dans le jazz et qui a aidé le serpent à retrouver une nouvelle popularité. Son album « Le Chant du Serpent » (La Lichère, 1989) est un chef-d’œuvre unique qui explore les possibilités sonores de cet instrument en combinaison avec la voix humaine. Les influences du Moyen-Âge, de la musique traditionnelle, du jazz et d’un peu de reggae caractérisent cette musique et ne cessent de m’envoûter depuis de nombreuses années.


Michel Godard est un musicien aux talents multiples - que ce soit au serpent, au tuba ou à la basse électrique - qui a participé à de nombreux projets exceptionnels. Parmi ses albums les plus remarquables, on peut citer « Castel del Monte » (Enja, 2000, avec e.a. Gianluigi Trovesi au saxophone et Renaud Garcia-Fons à la contrebasse), « Monteverdi - A Trace of Grace » (Carpe Diem, 2011, avec e.a. Steve Swallow à la basse électrique) ainsi que « A Serpent’s Dream » (Intuition, 2015, avec e.a. Lucas Niggli à la batterie) - et dans toutes ces œuvres, le serpent joue un rôle central.

L’album « Imaginary Circle » (ECM, 2025) est sorti récemment. Il s’agit d’une œuvre du pianiste de jazz Florian Weber qui entrelace subtilement différents univers musicaux. Dans ce cycle en quatre parties, les frontières entre la composition et l’improvisation ont tendance à s’estomper, créant un espace sonore flottant, presque méditatif, qui rappelle un peu la musique sacrée d’Olivier Messiaen. En plus du piano, de quatre euphoniums et de quatre trombones, Michel Godard intervient ici avec son serpent faisant de lien entre la musique ancienne et la musique moderne.


19. février 2025

Continuer

Quelqu’un a-t-il déclaré que le jazz est toujours facile ? Cet album solo de Joachim Kühn, « Échappé » (Intakt), est un sacré truc. La première fois que je l’ai écouté en passant, il m’a semblé encombrant, la deuxième fois - en concentré - toujours aussi compliqué. Puis je l’ai reposé. Les médias se sont mis à en faire l’éloge. Je l’ai donc examiné une nouvelle fois à la loupe. Des titres comme « Weltall », « Schlachtfeld » ou « Südkuve » offrent des points de repère pour interpréter les thèmes et les ambiances musicales. De petits éclairs de lumière apparaissent entre des accords abrupts, pour être aussitôt remplacés par des courses âpres, des arpèges audacieux et des changements d’harmonie abrupts. Des séquences de notes précipitées virevoltent sur les touches, posent des accents inquiétants et mènent sur un terrain inattendu. C’est sauvage - voici un pianiste qui a du mal à maîtriser ses richesses d’idées. Quelqu’un qui a essayé beaucoup de choses dans sa vie. De nombreux styles, de nombreuses ruptures. Maintenant, à quatre-vingts ans, le repos devrait être de mise, mais Joachim Kühn n’est pas fait pour cela.

Le titre de l’album sonne comme le credo non seulement musical de Kühn : échappé - fuir, partir, aller plus loin. Il cherche à aller plus loin, se met au défi, met l’auditeur au défi - et c’est précisément ce qui rend cet album tout à fait passionnant.

Conseil d’écoute : également consommer en petites doses.


17. février 2025

Dans le royaume du silence

Masako Ohta est une pianiste avec une formation classique et un ductus émotionnel intense, qui peut être à la fois tendre et énergique (oui, c’est possible !). Avec le trompettiste Matthias Lindermayr, elle s’engage de nouveau en douceur sur des chemins de jazz. Leur deuxième album commun, « Nozomi », qui signifie « espoir » en français, vient de sortir.

Sur des chemins mélodiques oniriques, au-dessus de tout soupçon de kitsch, ils avancent tous deux en douceur à travers des compositions principalement de Lindermayr, qui résonnent encore longtemps dans la tête. Sa trompette déploie alors un spectre sonore aérien aux multiples facettes, dont on laisse volontiers les origines dans le flou pour ne pas briser la magie de la musique.

Cette manière de faire de la musique, à la fois silencieuse et pénétrante, rappelle les traditions sonores d’Extrême-Orient, dans lesquelles le silence et la retenue jouent souvent un rôle particulier - une chose qui pourrait être plus appréciée sous nos latitudes.

Masako Ohta & Matthias Lindermayr
Nozomi
2025, Squama


4. février 2025

Jutta Hipp

Jutta Hipp est née le 4 février 1925 à Leipzig, donc il y 100 ans. Elle a pris des cours de piano à l’âge de neuf ans et a découvert le jazz avant la fin de la guerre en écoutant la radio et en participant à des jam sessions, généralement dans des appartements privés. Après son bac, elle a commencé des études de graphisme et de peinture et a fondé un quintet de jazz avec des amis musiciens.

En mars 1946, elle s’enfuit de la zone d’occupation soviétique et s’installe d’abord à un lac, le Tegernsee. Après des étapes à Munich et à Francfort, elle devient rapidement la vedette du piano dans l’Allemagne de l’après-guerre dans différents combos. Son chemin la mène finalement à New York, où elle est d’abord saluée comme une découverte du jazz allemand. En tant que première musicienne allemande et probablement première femme blanche, elle a été prise sous contrat par le label « Blue Note », où elle a enregistré trois albums.

Avec le temps, il est devenu de plus en plus évident que sa position de femme ddans le monde du jazz, dominé par les hommes, était loin d’être sans problème. De nombreux musiciens établis craignaient qu’elle ne leur vole la vedette - ou ne la prenaient tout simplement pas au sérieux - et ses anciens soutiens ont également eu du mal à accepter qu’elle commence à suivre sa propre voie musicale. Une vie indépendante en tant qu’artiste à multiples facettes exigeait énormément d’énergie, et c’est ainsi qu’un trac intense, une faible confiance en soi et un problème d’alcool l’ont finalement amenée à se retirer complètement de la scène musicale active à la fin des années 1950.

Par la suite, elle a gagné sa vie pendant 35 ans en travaillant comme couseuse dans une usine textile, tout en se consacrant à la poésie et à la peinture dans son appartement bourré de disques et de livres. Elle a continué à écouter le jazz sans relâche et à échanger avec des amis de la scène, dont la promotrice du jazz Pannonica de Königswarter et des musiciens comme Lee Konitz.

À la fin des années 1980, elle a reçu la visite de la musicienne allemande Ilona Haberkamp, qui a eu de nombreux entretiens avec elle. Il en résulte entre autres le livre « Plötzlich Hip(p) » (en allemand, Wolke Verlag), illustré de nombreuses caricatures et dessins que Jutta Hipp avait réalisés au fil du temps sur ses collègues musiciens.

Jutta Hipp est décédée le 7 avril 2003 dans son appartement de New York City.

Les enregistrements de Jutta Hipp sont assez rares, mais en les écoutant, je me focalise souvent sur son jeu de piano. Il séduit par sa clarté, sa présence et son élégance subtile, sans se mettre en avant, contrairement à nombre de ses collègues masculins de l’époque. Ses ornements semblent naître de l’instant, mais restent toujours harmonieusement intégrés dans le contexte. Alors que ses enregistrements réalisés en Europe montrent les premiers signes d’un style de jazz européen indépendant, aux États-Unis, elle fut davantage intégrée dans le répertoire local.


Ce texte est tiré d’un calendrier de l’Avent sur 24 musiciennes de jazz pionnières, que j’ai conçu il y a deux ans. Je travaille actuellement à la poursuite de ce projet et suis impatiente de voir ou cela va m’amener.


Henri Texier …

… fête aujourd’hui ses 80 ans. Le musicien de jazz et compositeur français a commencé sa carrière avec trois albums solo sur lesquels il a enregistré lui-même tous les instruments. Outre son instrument principal, la contrebasse, on y entend entre autres le oud, l’alto, la flûte, la bombarde (une chalémie bretonne), les percussions, la basse Fender et le piano. Ce n’est que sur le troisième album qu’il a fait appel à des musiciens invités en studio pour trois morceaux.

Même si les albums portent parfois le souffle des années 70, ils n’ont rien perdu de leur fascination. Ils méritent encore d’être écoutés - comme tout le reste de sa discographie.

1976

1977

1979


24. janvier 2025

50 ans de « The Köln Concert »

Aujourd’hui, il y a 50 ans, « The Köln Concert » a été enregistré à l’Opéra de Cologne. Voici un bref résumé de l’histoire de ce concert : nuit blanche, voyage épuisant depuis la Suisse, mal de dos, le repas arrive bien trop tard, mauvais piano à queue, persuadé de faire le concert. Puis les premières notes sont jouées - sol re do sol la - et le destin poursuit son cours … Pour de nombreux passionnés de jazz, cet enregistrement est une sorte de repère musical. Pour moi aussi.

Pourtant, lors de la sortie du « Bordeaux Concert » de Jarrett en 2022, j’ai eue un coup de foudre inconditionnel pour cet enregistrement de 2016. Comme le « Köln Concert », il se compose d’unités plutôt courtes et apparaît comme un distillat de l’ensemble de son œuvre. Le texte que j’ai écrit à ce sujet se trouve ici.

Pour les vrais fans, je recommande l’ouvrage de 2,89 kilos de Ludovic Florin (Éditions du Layeur). On y trouve une description de tous les albums auxquels Jarrett a participé, dans des textes classés par thèmes.


22. janvier 2025

Nouveau territoire

En fait, je voulais impressionner un peu ma progéniture et écouter du jazz saupoudré de hip-hop …

… avec un album qui s’appelle comme la formation ØKSE. C’est du danois et cela signifie « hache » - d’une part un outil ancien, d’autre part une allusion au terme « Ashé », qui représente l’énergie vitale dans la tradition vaudou. Créé en tant qu’œuvre de commande pour le festival de jazz de Saalfelden 2022, le projet réunit des musiciens* européens et américains - tous d’excellents artistes solo bien implantés dans la scène du jazz.

La saxophoniste danoise de free jazz Mette Rasmussen, connue pour son large spectre de techniques et ses idées toujours nouvelles, a initié le projet avec la batteuse new-yorkaise Savannah Harris, dont les rythmes précis sont aussi bien à l’aise dans le jazz traditionnel que dans des projets interdisciplinaires d’avant-garde.

Le contrebassiste suédois Petter Eldh, qui vit à Berlin, fournit la base rythmique et expérimente en outre avec des éléments sonores électroniques. Le quatuor est complété par Val Jeanty, qui, avec ses origines vaudoues haïtiennes, donne à ses scratches hypnotiques des textures uniques aux platines.

Quatre artistes rap* bien connus de la scène underground new-yorkaise complètent l’enregistrement, réalisé en partie à Oslo et en partie à Brooklyn : Billy Woods et ELUCID (alias Armand Hammer) ainsi que Maassai et Cavalier. Des performances live et un rap dynamique, des sons électroniques, des scratches et des samples se combinent parfaitement avec des solos instrumentaux, tous les participants dialoguant tout en se laissant beaucoup d’espace. Les différentes origines culturelles et approches musicales se fondent ainsi en un tout fascinant qui se dévoile couche après couche à l’écoute. C’est très réussi et ce n’est pas pour rien que cet album fait partie des meilleurs de l’année dernière.

Et la progéniture ? Elle se tient bien évidemment à l’écart de l’enthousiasme pour les excursions musicales (trés reussies) de ses géniteurs dans son univers musical et commence plutôt à découvrir en secret Louis Armstrong et Miles Davis pour lui …

ØKSE (feat. Savannah Harris, Mette Rasmussen, Val Jeanty & Petter Eldh)
2024, Backwoodz Records


14. janvier 2025

QUATRE ! - Pensées de l'île déserte

Quatre ans - c’est le temps que je passe à écrire ici, principalement sur le jazz. Un voyage fait de recherches profondes, d’écoute d’innombrables albums, de joie devant des solos virtuoses et des combinaisons d’instruments inattendues. Un essai de résumer des moments magiques en quelques mots et de découvrir des liens passionnants. Ensuite, je mets tout en forme et j’ajoute des illustrations - ce qui est après tout, mon véritable métier.

Parfois, il y a un peu de résonance, mais la plupart du temps, j’ai l’impression d’écrire depuis une île déserte. Cela peut être frustrant. La raison en est peut-être que le jazz n’est qu’un phénomène marginal dans ma génération (X). Seuls quelques-uns s’intéressent de plus près à cette musique - généralement des hommes, souvent plus âgés. Surtout en Allemagne, une image élitiste lui colle à la peau, comme si elle n’était accessible qu’à une communauté soudée. Pourtant, le jazz est tout sauf fermé. Cette musique respire la liberté, elle vit de rencontres, d’échanges de voix les plus diverses.

Pendant longtemps, le jazz a été marqué par une domination masculine. Les femmes étaient généralement réduites à des rôles de chanteuses ou de muses, parfois perçues comme des pianistes. De leur côté, les instrumentistes ou les compositrices devaient se battre pour être reconnues. Heureusement, les choses ont changé. De plus en plus de projets passionnants sont réalisés par des femmes qui posent courageusement de nouveaux jalons.

Mais une femme qui par pure passion ne se contente pas d’écouter, mais qui réfléchit, analyse et écrit sur le jazz ? Cela reste rare - et rend l’île encore un peu plus isolée.

Le jazz est une musique qui se transforme constamment, tantôt délicate et filigrane, tantôt brute et indomptable, et qui a depuis longtemps fait exploser le corset de la terminologie « jazz ». Elle évolue, se transforme, absorbe des influences et ajoute sans cesse de nouvelles fleurs à ses racines américaines. L’objectif de « ein Ohr draufwerfen » (jeter une oreille dessus) est précisément de rendre visible cette complexité.

Ce qui m’intéresse aussi, c’est l’aspect esthétique : la conception de la couverture, la présentation des artistes*, leurs inspirations. Peut-être est-ce mon regard de designer, peut-être une perspective féminine - en tout cas un point de vue qui peut éveiller la curiosité d’un nouveau public.

Malgré sa solitude, cette île a aussi ses avantages : pas d’agitation mainstream, mais de l’espace pour les découvertes. Des paradis cachés attendent d’être découverts. Et qui sait ? Peut-être recevrai-je un jour un message dans une bouteille - avec des histoires sur ce qui a été trouvé ici ou avec des propositions de thèmes que je devrais absolument aborder. Peut-être y a-t-il aussi des possibilités d’ouvrir cette île - pour en faire un lieu où les perspectives et les histoires se rencontrent ?

En attendant, je continue à lancer mes „posts“ de bouteilles à la mer. En espérant qu’ils seront lus et écoutés.


30. décembre 2025

2024

Mon Album de l’Année
»

Banc de Remplacement
»


29. décembre 2024

Barre Phillips (1934- 2024)

Parfois, je ne découvre l’œuvre d’un musicien de jazz qu’à sa mort. C’est ce qui est arrivé récemment avec Martial Solal. Depuis plusieurs jours, je découvre sans cesse de nouveaux enregistrements de ce pianiste et je suis de plus en plus admiratif.

Il en va autrement de Barre Phillips, qui est aujourd’hui entré dans le ciel des basses. Il est depuis longtemps l’un de mes héros. Arrivé des États-Unis en Europe dans les années 1960, il s’est rapidement imposé comme une figure centrale de la scène libre du jazz et de l’improvisation, où il a hissé la contrebasse au rang d’instrument soliste à part entière. Il a donné à la contrebasse une voix qui n’accompagnait pas seulement, mais qui racontait, exigeait et se baladait librement. On lui crédite à la fois le premier album de basse solo et le premier album de basse en duo (avec Dave Holland) de l’histoire du jazz.

Et comme la basse solo est ma discipline préférée, je recommande surtout « Call Me When You Get There » (1984) et « End to End » (2018). L’album avec des compositions de et avec Barre Phillips, trois autres contrebasses et de la batterie « For All It Is » (1973) et sa collaboration avec Joe et Mat Maneri sont également très beaux. Mais pour d’autres musiques avec Barre Phillips, chacun peut dorénavant partir à la découverte de lui-même et je promets qu’il y a encore beaucoup à trouver…


19. décembre 2024

Graphic Novels

La semaine dernière, je suis entrée dans l’univers de Martial Solal (je ne sais pas pourquoi cela m’avait échappé ?) et je découvre depuis des merveilles, des découvertes, des curiosités, des dédicaces chaleureuses et surtout : ce roman graphique « Martial Solal - Une vie à l’improviste ». Il a été dessiné et écrit par Vincent Sorel, un passionné de jazz et un admirateur de Solal. Ce livre est son hommage très personnel au pianiste, récemment décédé.

Comme Solal le fait dans ses prestations au piano, Sorel assemble d’innombrables petites pièces de puzzle pour former un tout aux multiples facettes. Il passe d’une étape à l’autre de sa vie, visualise la structure des compositions de Solal, met en lumière son caractère, parle de musiciens de jazz influents, partage des anecdotes et bien plus encore. Deux doubles pages sont également consacrées à l’histoire de la création de l’album « Sans tambour ni trompette », dont j’ai parlé le 14 décembre.

Avec ce roman graphique, Vincent Sorel a réussi à créer une œuvre complexe et chatoyante - certes « seulement » en deux couleurs à l’impression, mais pleine de détails originaux et soignés. La lecture est un pur plaisir, où l’on tourne les pages avec impatience pour découvrir ce qui va suivre. Le livre est paru récemment aux Éditions du Layeur.

Cela ferait un excellent cadeau de Noël.

Si vous êtes à la recherche d’autres portraits dessinés de musiciens, je vous recommande également ces œuvres :

1 ― « Ludwig et Beethoven »
de Mikael Ross
Dargaud, 2021
Le parcours parsemé d’embûches du petit Ludwig van Beethoven jusqu’au génie.

2 ― « Stockhausen : Der Mann, der vom Sirius kam »
de Thomas von Steinaecker,
dessiné par David von Bassewitz
Allemand : Carlsen, 2022
Une combinaison multidimensionnelle de la biographie du compositeur Karlheinz Stockhausen et de la rencontre de l’auteur avec lui lorsqu’il était adolescent.

3 ― « Monk! »
de Youssef Daoudi 
Les Éditions Martin de Halleux, 2018
Sur la vie du pianiste de jazz Thelonious Monk et son amitié toute particulière avec la baronne Pannonica de Koenigswarter, promotrice de jazz, et également une visualisation réussie du jazz.

4 ― « Victor Jara : La voix du peuple »
de Maxence Emery et Joséphine Onteniente
Des ronds dans l’O, 2020
Un portrait émouvant du musicien et activiste chilien assassiné par des militaires putschistes en 1973.


14. décembre 2024

Martial Solal (1927 – 2024)

Martial Solal, une icône non seulement du jazz français, s’est envolé jeudi vers le ciel du piano à l’âge de 97 ans. Le monde du jazz s’est montré profondément ému et a envoyé de nombreux hommages. Parmi les nombreuses voix, celle d’Alex Dutilh, le gourou du jazz ne pas vraiment à la retraite, qui a invité à réécouter l’album de Solal « Sans tambour ni trompette » (RCA Victor) de 1970, une œuvre en effet très particulière.

Un album en trio : Martial Solal au piano, Jean-François Jenny Clark à la contrebasse et à la batterie ? … non, pas de batterie …. une deuxième contrebasse!

A l’origine, cet arrangement était une solution spontanée, car lors d’un festival à Budapest en 1968, tous les batteurs possibles étaient empêchés à court terme et Solal a alors décidé d’engager à la place un deuxième bassiste qui connaissait déjà son répertoire. L’expérience a si bien fonctionné que Solal a finalement commencé à écrire des morceaux pour cette combinaison, et c’est ainsi qu’est né cet album extraordinaire, qu’il compte lui-même parmi ses meilleures œuvres.

L’interaction entre les musiciens est époustouflante : tandis que l’un des bassistes - Gilbert « Bibi » Rovère - joue au doigts, l’autre - JF Jenny Clark - s’empare généralement de l’archet. Solal, quant à lui, jongle de manière aventureuse sur les touches, citant ici Monk, là Ellington, et faisant preuve d’une maîtrise de la composition souvent empreinte d’une certaine nonchalance espiègle et parfois d’une vitesse folle.

Un critique résume ainsi la magie de cet album : « Une entente parfaite entre trois musiciens, un ancrage dans une histoire qu’il finit par dépasser, un jeu flamboyant basé sur un swing abstrait et sensible, un équilibre novateur entre écriture et partie libre font de ce disque finalement assez bref (moins de 34 minutes) un chef d’œuvre d’intelligence et d’humour qui défie les années et place définitivement Solal au côté des grands créateurs du XXe siècle. » (source)

En tant qu’auditrice, j’ai été extrêmement surprise et profondément heureuse de cette découverte !

A suivre …


11. décembre 2024

Rolf Kühn

L’album posthume Fearless du clarinettiste allemand Rolf Kühn (1929- 2022), qui vient de paraître, constitue une conclusion impressionnante à sa longue carrière et referme la parenthèse ouverte par son album Solarius, publié en 1964, un jalon dans l’histoire du jazz européen et allemand. En effet, avec Solarius, Kühn a réussi à transposer de manière innovante le style de jeu traditionnel du jazz américain en un son plus libre et expérimental qui allait marquer durablement le jazz européen. (> quintet)

Le son inimitable de Rolf Kühn, d’une clarté et d’une précision à couper le souffle, est un élément central de son style. Il savait conserver une légèreté et un caractère swinguant même dans les passages les plus techniques. Son jeu de clarinette semblait souvent peindre à chaque note des émotions, des scènes et des pensées qui racontaient de petites histoires à l’auditeur. Et ce jusqu’à l’âge avancé de 92 ans, lorsqu’il a enregistré Fearless. (> NOUVEAU)


25. novembre 2024

A Sound of Honey

Il y a cent ans aujourd’hui naissait Paul Desmond.
Il est considéré comme le plus grand poète au saxophone alto.
Pourquoi ?

Voilà pourquoi:

> A Taste of Honey
(„Rude Old Man“, 1964)
> Fujiyama
(Dave Brubeck Quartet, „Jazz Impressions of Japan“, 1964)
> Two of a Mind
(avec Gerry Mulligan, „Two of a Mind“, 1962)
>
Greensleeves
(avec Jim Hall „First Place Again“, 1959)
> Bossa Antigua
(„Bossa Antiqua“, 1964)
> Give a little Whistle / Lady Be Good
(Dave Brubeck „Jazz at Storyville“, 1953)
> Concierto de Aranjuez
(Jim Hall, „Cocierto“, 1975)

et bien sûr:
> Take Five
(Dave Brubeck Quartet, „Time Outtakes“, 2020)

>
Playlist Spotify
> Playlist Apple Music

… et alors p.e. ici.


18. novembre 2024

We live in a political world

Les albums Stimmen du Eva Klesse Quartett de Cologne et Gentle Destruction de Pauline Réage de Leipzig montrent de manière impressionnante comment la musique peut être utilisée comme outil de messages politiques et de réflexion sociale. Les deux formations utilisent des moyens stylistiques différents pour mettre en lumière des questions de société, des expériences personnelles et collectives ainsi que des défis sociaux.

Eva Klesse Quartett – Stimmen

… tourne autour de la recherche de la « voix intérieure » et des voix de la société. Des thèmes centraux comme la liberté d’expression, l’identité et la diversité sont au cœur de l’album. Commençant par un quatuor à cordes et se terminant par un hymne optimiste - une spécialité de la compositrice Eva Klesse - l’album est divisé en trois thèmes, chacun conçu et composé par un membre du groupe :

Le premier « Whitnesses » de Philip Frischkorn traite de la vie en RDA et de la participation à la Révolution pacifique de 1989. Les morceaux sont basés sur des récits de l’actrice Ellen Hellwig. La deuxième contribution « Peaceful Warriorresses » est consacrée par Evgeny Ring, originaire de Russie, à deux activistes russes qui se sont courageusement soulevées contre le régime. Dans la troisième partie de l’album « pass the mic », Eva Klesse donne la parole à différentes voix qui doivent encourager à s’engager contre les injustices. projekt-stimmen.de

Pauline Réage – Gentle Destruction

… adopte une approche encore plus radicale. Sa musique énergique puise dans des genres tels que la noise, le chant a cappella, le punk, le spoken word et le jazz - ce dernier, un genre qui de toute façon « peut toujours être tout ». Le quatuor a pris pour nom le pseudonyme de l’écrivaine française Anne Desclos, dont l’œuvre L’histoire d’O remet en question les rôles normatifs des sexes.

Les textes tantôt humoristiques, tantôt sombres (à l’exception de « Alone with Everybody », un poème de Charles Bukowski) et les mélodies sont en grande partie l’œuvre de la fondatrice du groupe, Anne Munka. Mais l’interprétation des autres membres du groupe - la pianiste Olga Reznichenko, le bassiste Robert Lucaciu et le batteur Maximilian Breu - rend l’œuvre multidimensionnelle et dynamique.

Le titre « Gentle Destruction » (« Destruction douce ») fait référence à l’idée de déconstruire les anciennes structures et systèmes non pas par la violence, mais par la poésie et l’imagination. La diversité musicale, les représentations de spoken word et les contenus de confrontation se fondent ici en une œuvre d’art globale et puissante.

La longue tradition consistant à utiliser la musique comme outil de remise en question des normes sociales et des structures de pouvoir est profondément ancrée dans le jazz. Depuis ses origines dans les communautés afro-américaines, le jazz a été un moyen de résistance - contre le racisme, l’injustice sociale et l’oppression politique. Des musiciens comme Max Roach avec « We Insist! » ou Charles Mingus avec « Fables of Faubus » ont utilisé le jazz pour attirer l’attention sur les abus et exiger des changements. On trouve également des parallèles pertinents dans la tradition allemande de l’art politique, par exemple chez Bertolt Brecht et Kurt Weill, ainsi que dans la scène anglaise du Canterbury Sound, qui enrichissent le jazz en tant que média critique de la société.

Les musicien•ne•s du Eva Klesse Quartett et Pauline Réage poursuivent cette tradition. Ils abordent des thèmes actuels et montrent que le jazz est aujourd’hui encore un médium vivant de réflexion sociale. Les deux albums invitent à se confronter consciemment à la diversité de la société et à ses défis. « Dans le contexte social actuel, le jazz reste un puissant moyen de faire avancer le changement. Il suffit de le responsabiliser », explique Anne Munka.